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L'objet absolument singulier est incapable de décliner son identité, puisqu'il n'est rien qui lui soit identique : il est à la fois unique et étrange, et pour la même raison. Tel est le monde dans son ensemble : « un être unilatéral dont le complément en miroir n'existe pas » (Ernst Mach). Et telle est la réalité en général, composée d'objets singuliers, ensemble indéterminé d'objets non identifiables. Objets proprement indescriptibles, mais d'autant plus évocateurs du réel que la description en est plus malaisée. Ainsi, par exemple, les objets du rire, de la terreur, du désir, du cinéma, de la musique donnent-ils lieu à d'étranges et exemplaires appréhensions du réel.
L'Objet singulier est paru en 1979 (nouvelle édition augmentée en 1985). -
Une « Utopique » est une construction imaginaire ou réelle d'espaces dont la structure n'est pas pleinement cohérente selon les codes de lectures eux-mêmes que cette construction propose. Elle met en jeu l'espace. Ce livre cherche à explorer ces jeux dans l'image et l'écriture et à expliquer par eux le mode particulier de production textuel et historique de l'utopie et sa force critique des sociétés réelles. Partant d'une étude de l'Utopie exemplaire de More, il vise par l'analyse de représentations utopiques (plans de ville du XVIIIe siècle, Disneyland, un fragment de Jorge Luis Borges, la ville cosmique de Xénakis...) à fournir les premiers éléments d'une théorie de la pratique sociale.
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Le livre de Jonas tient une place exceptionnelle dans la liturgie juive. Il est en effet lu publiquement à la fin de Yom Kippour, ce jour du Grand Pardon qui est la principale des solennités du calendrier. Et pourtant, rien ne semblait désigner à un tel honneur ce court texte consacré à l'un des douze « petits prophètes ».
Le livre de Jonas comprend quatre chapitres. Le premier et le troisième rapportent l'histoire, sans doute très ancienne, mais bien peu édifiante, d'un prophète récalcitrant. Sommé par Dieu d'aller prêcher Ninive, il s'empresse de s'embarquer sur un navire qui va dans la direction opposée. Mais, à la suite d'une soudaine tempête, les matelots rejettent Jonas à la mer ; il est alors avalé par un grand poisson (la fameuse « baleine » de Jonas), qui le dépose sur un rivage d'où il gagne Ninive et accomplit finalement la mission dont il était chargé.
Le deuxième chapitre - la prière de Jonas dans le ventre du poisson - est un psaume, également très ancien, que nous connaissons surtout dans sa traduction latine : le De Profundis.
Quant au quatrième chapitre, dont la rédaction est beaucoup plus récente (probablement du IIe siècle avant l'ère chrétienne), il raconte une mystérieuse histoire de « ricin » dont personne à vrai dire n'a l'air aujourd'hui de comprendre la véritable signification.
Or il paraît clair que c'est ce quatrième chapitre, justement, qui vaut à Jonas sa place éminente dans l'office de Kippour. Greffé par les Docteurs de la loi sur les deux sources légendaire et poétique précédentes, il pourrait bien illustrer pour la première fois la situation des juifs après la destruction du Temple de Jérusalem. Une situation qui n'a pas changé fondamentalement depuis vingt-six siècles.
Dernier livre de l'Ancien Testament, à la jonction du sacré et du profane. Jonas serait tout simplement le Livre de la judaïté moderne. -
Que savons-nous de la chair quand nous ignorons si un savoir, jamais, en pourra prendre mesure ? Par le détour d'une interprétation de la phénoménologie de Husserl, préalable juridique de la philosophie moderne, il s'agit d'établir la nécessité historique et systématique d'une analytique de l'incarnation, d'en indiquer les charges.
L'expérience d'autrui est, dans l'ensemble de l'analyse constitutive, la région problématique la plus apte à faire ressortir l'importance de la chair et du corps. Les difficultés qu'y rencontre Husserl tirent leur origine du fait qu'une chair, ma chair, ne peut être donnée hors d'un accouplement avec une chair autre par lequel elle s'incorpore dans un espace homogène. Comme le donné intuitif, source de toute connaissance, doit être, Husserl le répète inlassablement, un donné incarné, c'est la phénoménologie dans son entier qui est préoccupée par la relation charnelle, jusque et y compris ce qu'elle tient pour son absolu : la temporalité.
La chair, propre et impropre, donne le temps. Elle n'en dérive donc pas, ce qui perturbe la critique de l'intentionnalité par laquelle Heidegger déplace le privilège de la conscience pour poser la question de l'être et préparer le passage de la philosophie à la pensée. L'analyse de la chair - cela même qui pense chez les hommes, selon Parménide - ne pourrait-elle ainsi contribuer à penser ce qu'est penser ? (D. F.) -
Interférence peut se lire inter-référence. Rien n'existe, rien n'est pensé, nul ne perçoit ni n'invente s'il n'est un récepteur mobile plongé dans un espace de communication à une multiplicité d'émetteurs. Espace où circulent des messages, que le bruit remplit, où durent des stocks. Espace dont l'encyclopédie est une figure.
Interférence est une image. Elle donne à voir ou à entendre des zones d'ombre et de lumière, d'éclat sonore et de silence. Les sciences interfèrent multiplement : l'épistémologie balance entre le savoir aveuglant et les plages noires de l'insu. Après le livre des clartés, il faudra écrire, parmi le bruit, son complément ténébreux : l'article de la mort. -
Ce livre est né d'une découverte : l'impossibilité de tenir un discours sur Pascal sans tomber dans les contradictions que dénonce son objet. D'où la substitution à Pascal de la Logique de Port-Royal, qui le cite en des points-clés de son propos et qui permet ainsi d'en mesurer toute la puissance subversive. Sans doute est-il question, dans La Critique du discours, des modèles représentatifs du langage élaborés par la « linguistique cartésienne » des logiciens jansénistes, mais pour montrer, grâce à la citation pascalienne, comment modèles et représentations s'y manifestent comme procès idéologiques où la sémiologie contemporaine est encore prise.
En écrivant dans leur ouvrage, avec Pascal, le contre-texte de la représentation classique, en déplaçant ses « évidences » par une logique de l'infini et de l'aléa, par les stratégies pratiques du langage ordinaire, les « Messieurs » retrouvent dans leur Logique toute cartésienne et bourgeoise, et sans en être pleinement conscients, la pensée et la pratique anti-représentatives de leur religion, pensée pratique des forces du désir, celles du péché ou de la grâce, forces de l'Autre qui interdisent au modèle et à la représentation de se fonder rationnellement. Cette Critique du discours vise ainsi, par-delà les textes du dix-neuvième siècle, à mettre en question quelques-uns des présupposés sémiotiques des sciences humaines.
Ce livre est paru en 1975. -
Logique structure enonciation: lectures sur le langage
Oswald Ducrot
- Minuit
- 18 Novembre 2020
- 9782707351159
Le linguiste, quand il étudie une langue, prétend d'abord observer des faits, et ensuite les relier par des lois, ou les expliquer par une théorie. Mais ces « faits » (qu'il se « donne » au départ, et qu'il prend pour évidents parce qu'ils appartiennent à la perception habituelle du langage) sont le produit des théories à travers lesquelles il les voit. Quelques-uns sont le produit de sa propre théorie - et l'on parle de cercle vicieux, d'artefact, ou, d'une façon plus sérieuse, et moins péjorative, de « coût théorique ». La plupart sont le produit de théories anciennes, parfois de théories contre lesquelles l'auteur lui-même se bat. D'où la nécessité de savoir comment la linguistique d'hier a construit les faits dont débat la linguistique d'aujourd'hui. C'est ce que tente de faire cet ouvrage, qui traite de recherches très diverses, aussi bien celles de logiciens médiévaux que de modernes théoriciens de l'énonciation.